Au-delà du divertissement : comment les partenariats avec les géants du streaming transforment l'Expérience Patient et Voyageur

Expérience Patient
Patient regardant Netflix à l’hôpital

Deux environnements captifs, un même besoin d’évasion

Le récent partenariat entre Air France et Canal+, qui permettra dès le 1er mai 2025 aux passagers long-courriers d’accéder à une chaîne dédiée proposant séries emblématiques, émissions phares et documentaires captivants, illustre parfaitement la stratégie des compagnies aériennes pour enrichir l’expérience voyageur. Mais cette annonce ouvre également une réflexion plus large sur les similitudes entre l’expérience du voyageur aérien et celle du patient hospitalisé – deux situations où l’individu se trouve temporairement captif dans un environnement contraint.

Si le secteur aérien a depuis longtemps intégré le divertissement premium comme composante essentielle de son offre, le milieu hospitalier commence tout juste à explorer ce territoire. Pourtant, l’enjeu y est peut-être encore plus crucial : un patient en hospitalisation longue durée ou soumis à des traitements réguliers comme la dialyse peut passer des centaines d’heures dans un environnement médical, souvent confronté à l’ennui, l’anxiété et l’isolement.

Du ciel à l’hôpital : un marché inexploité pour les plateformes de streaming

Une opportunité stratégique pour les fournisseurs de contenu

L’annonce d’Air France et Canal+ met en lumière une réalité économique souvent négligée : les environnements captifs représentent des marchés stratégiques pour les plateformes de streaming et producteurs de contenu. Si les 15 millions de passagers annuels d’Air France sur les vols long-courriers justifient un partenariat dédié, que dire des 11 millions de patients hospitalisés chaque année en France, dont 2,5 millions pour des séjours supérieurs à 3 jours ?

Pour des acteurs comme Netflix, Prime Video, Disney+ ou Canal+, l’environnement hospitalier constitue :

  • Un territoire de découverte : dans un contexte où l’acquisition de nouveaux abonnés devient de plus en plus coûteuse, l’hôpital représente une opportunité de faire découvrir leurs services à des utilisateurs potentiels
  • Un marché de niche inexploité : la spécificité des besoins patients (contenus adaptés à différentes pathologies, interfaces simplifiées) offre un espace d’innovation différenciant
  • Un levier d’image de marque : l’association à une mission d’utilité sociale renforce leur positionnement corporate

Certains acteurs internationaux commencent d’ailleurs à explorer ce potentiel. Netflix a lancé en 2023 un programme pilote dans plusieurs hôpitaux américains, offrant un accès gratuit à une sélection de contenus spécifiquement adaptés au contexte hospitalier. Prime Video a développé une interface simplifiée pour les établissements de santé partenaires au Royaume-Uni, tandis que Disney+ propose des expériences immersives pour les services pédiatriques.

Des besoins spécifiques selon les typologies d’hospitalisation

La diversité des situations d’hospitalisation appelle des réponses adaptées :

  • Pour les hospitalisations longue durée (oncologie, rééducation, psychiatrie…), l’enjeu est de proposer des contenus variés, régulièrement renouvelés, permettant une immersion profonde. Les séries au long cours et les cycles thématiques prennent ici tout leur sens, comme le montre l’offre de Canal+ pour Air France intégrant des séries emblématiques comme “Versailles” ou “D’Argent et de Sang”.
  • Pour les traitements réguliers (dialyse, chimiothérapie ambulatoire…), des formats plus courts mais suivis sont particulièrement adaptés. Un patient dialysé passe environ 12 heures par semaine en traitement, soit l’équivalent de 25 jours complets par an. Des émissions comme “En Aparté” ou des spectacles d’humour, également inclus dans l’offre Air France-Canal+, répondent particulièrement bien à ces temporalités.
  • Pour les soins intensifs et situations aiguës, des contenus apaisants, sans narration complexe, privilégiant l’évasion visuelle et sonore sont préférables. Les documentaires nature ou voyage, que Canal+ intègre également dans sa programmation pour Air France, constituent une réponse adaptée.

Les initiatives pionnières dans le secteur hospitalier français

Plusieurs établissements français ont amorcé des collaborations innovantes avec des fournisseurs de contenu, préfigurant ce que pourrait devenir une généralisation de cette approche.

Le CHU de Nantes et son “Cinéma à l’Hôpital”

Le CHU de Nantes a développé un partenariat avec plusieurs distributeurs cinématographiques pour proposer aux patients de longue durée un accès à des films récents, simultanément à leur sortie en salle. Cette initiative, déployée initialement dans les services d’oncologie, s’est progressivement étendue à d’autres unités. L’impact sur le moral des patients a fait l’objet d’une étude clinique démontrant une réduction significative des scores d’anxiété et une amélioration de la qualité du sommeil.

L’AP-HP et sa “Médiathèque Thérapeutique”

L’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris a lancé en 2024 une “Médiathèque Thérapeutique” en collaboration avec plusieurs producteurs de contenu. Cette plateforme propose des programmes catégorisés selon leurs effets potentiels : relaxation, stimulation cognitive, évasion, information médicale vulgarisée. L’originalité de cette approche réside dans la prescription médicale associée : les médecins peuvent recommander certaines catégories de contenus en fonction du profil du patient et de sa pathologie.

Les centres de dialyse Diaverum et leur offre personnalisée

Le groupe Diaverum, spécialisé dans la dialyse, a développé une approche particulièrement innovante du divertissement. Chaque patient bénéficie d’un profil personnalisé sur la plateforme interne, accessible via des tablettes individuelles. L’intelligence artificielle analyse ses préférences et son état psychologique pour recommander des contenus adaptés à chaque séance. Des accords avec plusieurs fournisseurs permettent de proposer un catalogue diversifié, renouvelé mensuellement.

Les défis techniques et organisationnels à surmonter

L’implantation de services de streaming premium en milieu hospitalier se heurte à plusieurs obstacles spécifiques qu’il convient d’anticiper.

L’infrastructure technique hospitalière

Contrairement aux avions modernes, conçus avec une connectivité intégrée, les infrastructures hospitalières présentent souvent des limitations significatives :

  • Des réseaux Wi-Fi saturés ou fragmentés, initialement dimensionnés pour les usages professionnels et non pour le streaming haute définition
  • Un parc d’équipements hétérogène combinant matériels récents et systèmes plus anciens
  • Des contraintes de sécurité informatique renforcées, particulièrement depuis la multiplication des cyberattaques visant les établissements de santé

La mise à niveau de ces infrastructures constitue un préalable indispensable, nécessitant des investissements conséquents mais potentiellement mutualisables avec d’autres projets de digitalisation hospitalière.

Le modèle économique et la prise en charge financière

La question cruciale du financement reste à résoudre :

  • La facturation directe au patient, modèle historique de la télévision hospitalière, apparaît de plus en plus inadaptée et inéquitable
  • La prise en charge institutionnelle se heurte aux contraintes budgétaires des établissements de santé
  • Le financement par les assurances complémentaires émerge comme une piste prometteuse, certaines mutuelles commençant à intégrer le “bien-être numérique” dans leurs offres
  • Le modèle publicitaire soulève des questions éthiques spécifiques au contexte de vulnérabilité des patients

Des solutions hybrides, à l’image du partenariat Air France-Canal+ où le coût est intégré à l’offre globale, pourraient constituer une voie médiane.

La formation du personnel soignant

L’intégration réussie de ces solutions suppose également une appropriation par les équipes soignantes, qui doivent :

  • Comprendre la valeur thérapeutique potentielle des contenus proposés
  • Être en capacité d’orienter les patients vers les programmes les plus adaptés à leur situation
  • Pouvoir résoudre les problèmes techniques de premier niveau
  • Intégrer ces outils dans leur pratique quotidienne sans les percevoir comme une charge supplémentaire

Des modules de formation spécifiques, idéalement co-conçus avec les fournisseurs de contenu, apparaissent nécessaires pour maximiser l’adoption et l’impact de ces solutions.

Quatre scénarios d’évolution pour les cinq prochaines années

L’avenir du divertissement premium en milieu hospitalier pourrait s’orienter selon plusieurs trajectoires :

Scénario 1 : Le modèle des partenariats exclusifs

À l’image de l’alliance Air France-Canal+, des établissements ou groupes hospitaliers pourraient nouer des partenariats exclusifs avec des plateformes spécifiques. Ce modèle permettrait une personnalisation poussée de l’offre et une intégration optimale aux parcours de soins, mais limiterait la diversité des contenus accessibles.

Scénario 2 : La plateforme hospitalière agrégative

Une alternative consisterait à développer une plateforme spécifiquement hospitalière, agrégeant des contenus issus de différents fournisseurs dans une interface unifiée et adaptée au contexte médical. Ce modèle, plus complexe à mettre en œuvre, offrirait une expérience plus cohérente et une meilleure prise en compte des spécificités hospitalières.

Scénario 3 : L’intégration aux plateformes de e-santé existantes

Les plateformes de e-santé qui se développent actuellement pourraient intégrer progressivement des fonctionnalités de divertissement, créant un écosystème numérique complet autour du patient. Ce scénario présente l’avantage d’une approche holistique mais pourrait diluer la qualité de l’expérience de divertissement.

Scénario 4 : L’approche communautaire et participative

Une voie plus disruptive consisterait à développer des plateformes où les patients deviendraient eux-mêmes contributeurs de contenus, à l’image de certains réseaux sociaux spécialisés comme Thiasos. Ce modèle, particulièrement pertinent pour les pathologies chroniques, transformerait radicalement la relation au divertissement en privilégiant le lien social et l’empowerment.

Le potentiel thérapeutique inexploité du divertissement ciblé

Au-delà de l’amélioration du confort, ces évolutions ouvrent des perspectives inédites en termes d’impact thérapeutique.

Des contenus comme adjuvants thérapeutiques

Des recherches récentes démontrent que certains types de contenus peuvent avoir des effets physiologiques mesurables :

  • Les programmes de réalité virtuelle immersive peuvent réduire significativement la perception de la douleur, comme l’ont démontré plusieurs études en contexte opératoire
  • Les contenus humoristiques stimulent la production d’endorphines et renforcent le système immunitaire
  • Les documentaires nature abaissent le niveau de stress et normalisent la tension artérielle
  • Les fictions narratives complexes maintiennent la stimulation cognitive, particulièrement importante pour les patients âgés

Canal+ intègre déjà dans son offre pour Air France plusieurs de ces catégories de contenus, comme les spectacles d’humour de Laura Felpin ou Roman Frayssinet et des documentaires thématiques. Transposée au contexte hospitalier, cette approche pourrait être affinée avec une véritable intention thérapeutique.

L’intelligence artificielle au service de la personnalisation thérapeutique

L’avenir pourrait voir émerger des systèmes de recommandation spécifiquement médicalisés :

  • Analysant les constantes vitales pour suggérer des contenus adaptés à l’état physiologique du moment
  • Intégrant les données du dossier médical pour éviter les contre-indications (contenus anxiogènes pour certaines pathologies)
  • Apprenant des préférences collectives de patients aux profils similaires
  • Adaptant dynamiquement le format (durée, rythme, intensité) en fonction de l’évolution de l’attention et de la fatigue

Ces systèmes, à l’intersection du divertissement et de la médecine, pourraient constituer une nouvelle classe d’outils thérapeutiques digitaux.

Conclusion : vers une convergence des expériences voyageur et patient

Le partenariat Air France-Canal+ illustre l’importance croissante du contenu premium dans l’expérience voyageur. Transposée au milieu hospitalier, cette tendance pourrait transformer radicalement l’expérience patient, particulièrement pour les hospitalisations longues ou les traitements réguliers.

Cette évolution ne représente pas simplement un enrichissement du confort matériel, mais une véritable opportunité thérapeutique. En considérant le divertissement non plus comme une distraction périphérique mais comme une composante intégrée du soin, les établissements hospitaliers pourraient améliorer significativement leurs résultats cliniques tout en répondant aux attentes croissantes des patients en matière d’expérience digitale.

Pour les plateformes de streaming et producteurs de contenu, le secteur hospitalier constitue un territoire d’expansion stratégique, alliant potentiel commercial et impact social positif. Les partenariats pionniers observés sur le marché français préfigurent probablement un mouvement plus large, où l’expertise en matière de divertissement rencontrera les besoins spécifiques du monde médical.

À terme, nous pourrions assister à une convergence des expériences digitales du voyageur et du patient : personnalisées, immersives, thérapeutiques et constamment renouvelées. Non pas que l’hôpital doive ressembler à un avion, mais parce que ces deux environnements partagent un défi commun : transformer un temps contraint en une expérience positive et enrichissante.

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