Co-création et FabLabs Hospitaliers :
quand les Patients deviennent Acteurs de l'Innovation Digitale

Patient Experience
Fablab hospitalier en action

Dans notre précédent article “Voyageur vs Patient : une même exigence digitale ?”, nous avions analysé les différences marquantes entre l’expérience numérique proposée aux voyageurs aériens et celle offerte aux patients hospitalisés. Cette comparaison mettait en lumière un paradoxe frappant : tandis que le secteur aérien a su développer une approche centrée utilisateur sophistiquée, le milieu hospitalier demeure souvent ancré dans une vision descendante où les solutions sont conçues pour les patients, rarement avec eux.

Pourtant, une révolution silencieuse transforme progressivement cette dynamique. À travers le monde, et particulièrement en France, émerge un nouveau paradigme : celui du patient partenaire, co-créateur des innovations qui façonneront sa propre expérience de soins. Cette évolution ne représente pas simplement un ajustement méthodologique, mais une transformation profonde de la relation soignant-soigné et de la place du patient dans l’écosystème hospitalier.

Les FabLabs hospitaliers : espaces d’innovation collaborative en santé

L’exemple pionnier de l’hôpital Foch de Suresnes

L’hôpital Foch de Suresnes a fait figure de précurseur en France en créant l’un des premiers FabLabs hospitaliers. Ce laboratoire d’innovation, implanté au cœur même de l’établissement, constitue un espace où patients, soignants, designers et ingénieurs collaborent pour concevoir des solutions concrètes aux problématiques quotidiennes de l’environnement hospitalier.

Équipé d’imprimantes 3D, de découpeuses laser et d’outils de prototypage rapide, ce FabLab permet de matérialiser rapidement les idées émergeant des séances de co-création. Sa particularité réside dans sa méthodologie d’innovation “frugale” : plutôt que de développer des solutions technologiques complexes et coûteuses, l’accent est mis sur des améliorations pragmatiques, immédiatement implémentables et centrées sur l’expérience vécue.

Plusieurs réalisations emblématiques illustrent cette approche :

  • Des supports ergonomiques pour tablettes conçus avec des patients à mobilité réduite, facilitant l’accès aux divertissements numériques depuis le lit d’hôpital
  • Une interface simplifiée de télévision hospitalière développée avec des patients seniors, privilégiant la lisibilité et l’intuitivité
  • Un système de signalétique interactive co-créé avec des patients anxieux, permettant de mieux comprendre son parcours de soins et les étapes à venir

Au-delà des objets produits, la valeur du FabLab de Foch réside dans le processus lui-même : en impliquant les patients dès la phase d’idéation, l’hôpital reconnaît leur expertise unique – celle de l’expérience vécue – et transforme leur statut de bénéficiaires passifs en contributeurs actifs.

Un modèle qui fait école

L’initiative de l’hôpital Foch a inspiré de nombreux établissements à travers la France. Des FabLabs hospitaliers ont ainsi vu le jour à Nantes, Lyon, Bordeaux ou encore Marseille, chacun développant ses spécificités tout en partageant une philosophie commune : l’innovation ouverte et collaborative.

Ces espaces ne se cantonnent pas au développement d’objets physiques, mais explorent également les dimensions numériques de l’expérience patient. Applications mobiles, interfaces adaptées, systèmes de suivi personnalisés : le champ des possibles s’étend à l’ensemble de l’écosystème digital hospitalier.

La réussite de ces initiatives repose sur plusieurs facteurs clés :

  • L’ancrage institutionnel : les FabLabs les plus performants bénéficient d’un soutien explicite de la direction et s’inscrivent dans la stratégie globale de l’établissement
  • La multidisciplinarité : au-delà des patients et soignants, ces espaces mobilisent designers, ingénieurs, ergonomes et spécialistes en sciences humaines
  • L’agilité méthodologique : des cycles courts permettent de tester rapidement les hypothèses et d’ajuster les solutions en fonction des retours d’expérience
  • L’ouverture : la documentation et le partage des innovations permettent leur diffusion au-delà de l’établissement d’origine

Les méthodologies de co-création adaptées au contexte hospitalier

L’implication des patients dans la conception des solutions digitales hospitalières ne s’improvise pas. Elle nécessite des méthodologies spécifiques, adaptées aux contraintes particulières du milieu hospitalier et aux vulnérabilités potentielles des participants.

Du design thinking au patient thinking

Le design thinking, méthodologie centrée utilisateur largement adoptée dans l’industrie, a servi de base conceptuelle aux premières initiatives de co-création hospitalière. Toutefois, son application en milieu de soins a nécessité d’importantes adaptations, donnant naissance à ce que certains nomment le “patient thinking” – une approche qui place l’expérience vécue du patient au centre de toutes les étapes du processus créatif.

Cette méthodologie se distingue par plusieurs caractéristiques :

  • Une temporalité adaptée à l’état de santé des participants, avec des sessions plus courtes mais potentiellement plus fréquentes
  • Des techniques de facilitation spécifiques permettant d’impliquer des patients aux capacités cognitives ou physiques temporairement altérées
  • Une attention particulière aux dynamiques de pouvoir pour garantir que la parole des patients pèse équitablement face à celle des professionnels
  • Une validation continue des propositions par des panels diversifiés de patients
  • Une considération éthique permanente quant à l’impact émotionnel potentiel des sujets abordés

Les living labs en santé : tester en conditions réelles

Complémentaires aux FabLabs, les living labs en santé permettent d’expérimenter les innovations en conditions réelles. Ces espaces de test, intégrés au parcours de soins, constituent des environnements contrôlés où les patients peuvent interagir avec les prototypes et fournir des retours d’expérience précieux.

Plusieurs établissements français ont développé cette approche, notamment pour évaluer l’impact des solutions digitales sur l’expérience patient :

  • Des chambres-témoins équipées de différentes interfaces de divertissement pour comparer leur ergonomie et leur impact sur le bien-être
  • Des parcours ambulatoires instrumentés permettant d’analyser l’utilisation des outils numériques d’accompagnement
  • Des salles d’attente expérimentales testant diverses solutions de gestion du temps perçu

Les données recueillies dans ces environnements – quantitatives comme qualitatives – permettent d’affiner les solutions avant leur déploiement à plus grande échelle, réduisant ainsi les risques d’échec et optimisant le retour sur investissement.

L’impact transformationnel de la co-création sur l’expérience digitale hospitalière

L’implication active des patients dans la conception des solutions numériques génère des bénéfices qui dépassent largement la simple amélioration ergonomique.

Des solutions plus pertinentes et adoptées

Les solutions co-créées présentent plusieurs avantages distinctifs par rapport aux systèmes conçus de manière traditionnelle :

  • Une meilleure adéquation aux besoins réels, parfois subtils ou difficiles à identifier sans l’expertise expérientielle des patients
  • Une prise en compte des contraintes spécifiques liées aux pathologies ou aux traitements
  • Une adoption facilitée grâce à la légitimité conférée par l’implication des pairs
  • Une durabilité accrue des dispositifs, pensés dès leur conception pour un usage intensif en contexte hospitalier

L’analyse comparative des taux d’utilisation révèle un écart significatif : les interfaces co-conçues avec les patients affichent des taux d’engagement jusqu’à trois fois supérieurs à ceux des solutions développées sans leur participation active.

Au-delà de l’outil : l’empowerment du patient

La co-création produit également des effets qui transcendent les solutions elles-mêmes :

  • Une transformation de la perception de soi chez les patients impliqués, qui passent du statut de bénéficiaires passifs à celui de contributeurs valorisés
  • Un développement de compétences nouvelles, techniques comme relationnelles, potentiellement transférables à d’autres contextes
  • Un sentiment d’appartenance à une communauté d’innovation, contrebalançant l’isolement souvent associé à l’hospitalisation
  • Une modification des rapports avec le personnel soignant, davantage fondés sur la collaboration et moins sur la dépendance

Cette dimension transformationnelle explique pourquoi de nombreux patients restent impliqués dans ces démarches bien après leur propre hospitalisation, formant parfois des communautés durables d’anciens patients-innovateurs.

Les défis de la co-création en milieu hospitalier

Malgré ses bénéfices manifestes, l’approche co-créative se heurte à plusieurs obstacles dans le contexte hospitalier.

Les freins institutionnels et culturels

L’intégration de la co-création dans le fonctionnement hospitalier se confronte à des résistances multiples :

  • La culture hiérarchique prévalant dans certains établissements, peu compatible avec la dynamique horizontale requise
  • La perception du patient comme sujet fragilisé plutôt que comme partenaire compétent
  • Les contraintes réglementaires liées à l’implication de non-professionnels dans des processus institutionnels
  • Les logiques budgétaires à court terme, peu favorables aux investissements dans l’innovation participative
  • La difficulté à évaluer quantitativement le retour sur investissement de ces démarches

Ces freins expliquent partiellement pourquoi les initiatives de co-création restent souvent portées par des équipes pionnières ou des départements spécifiques, sans toujours parvenir à transformer l’institution dans son ensemble.

Les enjeux éthiques et d’inclusion

La co-création soulève également des questions éthiques importantes :

  • La représentativité des patients impliqués : comment garantir que les solutions développées répondent aux besoins de tous, y compris des plus vulnérables ou des moins technophiles ?
  • Le risque d’instrumentalisation : comment s’assurer que la participation des patients dépasse le simple alibi et influence réellement les décisions ?
  • La juste reconnaissance de la contribution des patients : faut-il envisager des formes de rétribution, au-delà de la valorisation symbolique ?
  • L’accessibilité des processus de co-création : comment adapter les méthodologies pour inclure des personnes de tous âges, niveaux d’éducation et capacités ?

Ces questionnements ne constituent pas des obstacles infranchissables, mais nécessitent une réflexion approfondie et la mise en place de garde-fous méthodologiques.

Vers un écosystème d’innovation patient-centré : perspectives d’avenir

Au-delà des initiatives isolées, l’avenir de la co-création hospitalière semble s’orienter vers la constitution d’écosystèmes intégrés, où l’innovation patient-centrée deviendrait une composante structurelle du système de santé.

L’institutionnalisation de la participation patient

Plusieurs évolutions laissent entrevoir une formalisation croissante du rôle des patients dans l’innovation hospitalière :

  • L’émergence de postes dédiés à la coordination de l’innovation participative au sein des organigrammes hospitaliers
  • L’intégration de critères de co-création dans les appels à projets et les financements publics
  • La formation des professionnels de santé aux méthodologies collaboratives dès leur cursus initial
  • La création de départements d’expérience patient intégrant systématiquement des représentants des usagers

Cette institutionnalisation, si elle préserve l’authenticité de la démarche participative, pourrait permettre de passer de l’expérimentation à la généralisation.

Vers des plateformes nationales d’innovation collaborative en santé

L’avenir pourrait également voir émerger des infrastructures mutualisées facilitant la co-création à grande échelle :

  • Des plateformes numériques permettant à tout patient de contribuer à des projets d’innovation, indépendamment de sa localisation
  • Des réseaux de FabLabs hospitaliers partageant ressources, méthodologies et retours d’expérience
  • Des banques open source de solutions co-créées, adaptables par chaque établissement
  • Des communautés transversales de patients-innovateurs, constituant un vivier d’expertise mobilisable

Ces infrastructures permettraient d’atteindre une masse critique de participants et d’accélérer le développement de solutions innovantes tout en optimisant les ressources investies.

Conclusion : vers une convergence des modèles d’innovation

Notre comparaison initiale entre l’expérience digitale du voyageur aérien et celle du patient hospitalisé mettait en lumière un différentiel significatif en termes de maturité et d’ambition. L’émergence de la co-création et des FabLabs hospitaliers ouvre une voie prometteuse pour combler cet écart, non pas en transposant simplement les solutions du secteur aérien, mais en développant une approche spécifique, fondée sur l’expertise unique des patients.

Cette évolution suggère une possible convergence des modèles d’innovation : tandis que le secteur hospitalier s’approprie les méthodologies centrées utilisateur longuement éprouvées dans l’industrie, le secteur aérien pourrait s’inspirer de l’approche collaborative développée dans les FabLabs hospitaliers pour enrichir sa propre innovation.

Le patient-partenaire incarne ainsi bien plus qu’une tendance passagère : il représente un changement paradigmatique dans la manière dont nous concevons l’innovation en santé. À l’ère du numérique, l’expérience patient ne se limite plus à recevoir des soins de qualité, mais inclut également la possibilité de contribuer activement à l’amélioration continue du système qui les prodigue.

En transformant les contraintes propres au milieu hospitalier en opportunités d’innovation frugale et collaborative, les démarches de co-création et les FabLabs hospitaliers tracent la voie d’une expérience digitale hospitalière qui ne cherche plus à imiter les standards de l’industrie, mais à définir ses propres critères d’excellence – des critères dans lesquels l’expertise du vécu prend enfin toute sa place.

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